LE THE EN INDE

« Le thé n'a ni l'arrogance du vin, ni l'amertume du café et encore moins l'innocence minaudière du cacao. »
Kakuzô Okakura

PREMIERS PAS DU THE INDIEN


En 1823, le Major Robert Bruce découvre en Assam une espèce indigène de théier. Dès cette époque, le thé est cultivé par les tribus des collines de la région de Singphos, au Nord-Est de l'Assam. Il est produit selon la méthode birmane, qui consiste à faire fermenter les feuilles. Découvrant cela, le frère de Bruce lance une flotte de canonnières de l'East India contre les Birmans, qui doivent céder la région à l'East India Company en 1826. Les frères Bruce rencontrent cependant beaucoup de problèmes sur le plan de la main-d'œuvre qu'ils emploient : ils recrutent les ouvriers à Singapour, relais principal du commerce du thé en dehors de la Chine, mais les locaux fument de l'opium et refusent que leurs femmes travaillent sur les plantations.
En 1833, une loi britannique met fin au monopole de la Compagnie britannique des Indes orientales, qui contrôle toujours l'Inde administrativement, sur les importations cantonaises. L'objectif de la Compagnie devient de pallier la perte de son monopole commercial sur le thé en trouvant des façons de cultiver le thé en Inde.

 

LE COMITE DU THE EN INDE


Lord William Bentinck fonde un Comité du thé en Inde le premier février 1834. Il comprend sept agents de la Compagnie des Indes orientales, trois marchands de Calcutta et deux notables indiens. La tâche du Comité est d'évaluer les possibilités de plantation, d'exploitation et de commercialisation du thé en Inde.
Le 10 janvier 1839, la première vente aux enchères de thé d'Assam est réalisée à Londres.
Le Comité du thé en Inde commissionne, en 1848, Robert Fortune, du jardin botanique d’Édimbourg puis de la Royal Horticultural Society de Chiswick, pour un voyage d'exploration en Chine. Fortune parvient à envoyer en Inde 20 000 plants de théiers chinois et surtout à recruter huit fabricants de thé qui livrent à la Compagnie tous les secrets pour mener à bien la culture du thé. La variété assamaise se révèle la mieux adaptée au climat très chaud de la péninsule indienne. Elle est rapidement plantée en Inde et à Ceylan.

 

LE THE DE L'ASSAM


La société pour la production du thé du Bengale est créée à Calcutta en février 1839. Elle a pour objectif d'acheter la plantation des Bruce depuis devenue celle de l'East India Company, et de cultiver le théier pour en envoyer la production en Angleterre. Les Anglais investissent massivement dedans, espérant qu'elle pourra produire des quantités concurrentes de celles de la Chine, avec laquelle les incidents se multiplient, annonçant la guerre de l'opium.
En juin 1839, la première réunion du Conseil de la société du Bengale a lieu. Il y est confirmée l'abondance des plants indigènes et l'abondance de vivres, mais il est aussi établi qu'il faudra faire venir des travailleurs d'autres régions pour éviter les problèmes rencontrés par les Bruce. La même année, le Conseil décide de se renommer en Société de l'Assam.
En septembre 1841, cependant, les difficultés se multiplient. Un rapport met l'accent sur ces obstacles, à commencer par la main-d'œuvre : avant de passer sous domination anglaise, l'Assam a été presque dépeuplé et les travailleurs chinois recrutés à Singapour ne sont absolument pas formés à la cueillette du thé. Certains sont arrêtés à la suite de querelles avec les natifs locaux, d'autres refusent de travailler et sont expulsés, et enfin, le choléra sévit. Au-delà de la main d'œuvre, l'environnement dans son ensemble constitue aussi un obstacle : les plants de thé sont disséminés dans une jungle de hautes herbes et une forêt très dense, et en l'absence de route, il est difficile de transporter le thé à dos d'éléphant. Malgré les conditions de culture, la production de 1841 s'élève à près de 15 tonnes de thé. Le premier profit est réalisé en 1848, le premier dividende versé aux actionnaires en 1852.
En 1859, la Jorehaut Tea Company est créée pour faire concurrence à la Société de l'Assam. Elle achète trois plantations des Williamson : Cinnemara, Oating et Koliabar, qui produisent en tout plus de 70 tonnes. En 1865, la production s'élève à 163 tonnes. La même année, Williamson senior entre en conflit avec le président de la société : il refuse de faire cultiver les plants au-delà des capacités de la main-d'œuvre disponible, malgré la grande surface non cultivée.

 

LE THE DARJEELING


En 1841, les premiers théiers sont introduits dans la région de Darjeeling par le surintendant Campbell. Le stade expérimental se termine en 1854, et la Darjeeling Tea Company voit le jour en 1856, avec quatre plantations. En 1866, la production de la compagnie est de 225 tonnes dans ce secteur.
La main-d'œuvre est plus facile à se procurer à Darjeeling qu'en Assam : les coolies viennent facilement du Népal et des autres régions voisines, contrairement à l'Assam où il faut faire venir les travailleurs sur une distance de plus de mille kilomètres, avec un taux de mortalité très élevé.

 

SPECULATION ET CRISE


Au début des années 1860, la production de thé en Assam est financée essentiellement par la spéculation : en 1870, Edward Money, un des dirigeants de la Compagnie de l'Assam, condamne la « Tea-Mania » qui emballe l'économie du thé au Bengale sans connaissance du terrain. Les plantations sont en effet achetées huit à dix fois leur valeur pour la spéculation, et on en ouvre des nouvelles dans des lieux hostiles voire complètement inexploitables, sans connaissance technique. Les sociétés de plantations sont créées à tour de bras, sans main-d'œuvre pour y cultiver le thé.
En 1865-1866, la crise commence. Une grande quantité de thé de mauvaise qualité s'est mal vendue et les sociétés n'arrivent pas à couvrir leurs frais. Toutes les compagnies sont touchées, même les plus anciennes et reconnues : la Jorehaut Tea Company doit abandonner 25 hectares en 1867.

 

CROISSANCE DES PLANTATIONS DE THE EN INDE


Vers 1869, les planteurs se décident à faire remonter les prix du thé en améliorant sa qualité. En 1875, l'Inde a amélioré sa qualité et sa quantité de thé produit : elle livre près de 12 000 tonnes de thé sur le marché britannique. Jusqu'à la fin du siècle, la production indienne chasse progressivement le thé chinois du marché anglais.
En 1880, la production de l'Inde du Nord s'élève à 21 500 tonnes, dont 17 000 tonnes de l'Assam et 3 200 tonnes du Bengale occidental. Le marché reste presque exclusivement britannique : l'Australie préfère acheter en Chine, comme les Américains. Les thés de Darjeeling sont relativement rares, mais reconnus comme de très haute qualité, entre autres parce qu'ils n'ont pas été touchés par la spéculation. Enfin, le thé de Ceylan, où les premiers plants ont été installés dans les années 1870, commence à très bien se vendre sur plusieurs marchés et est exploité par l'entreprise Lipton.
En 1887, Ceylan et l'Inde vendent respectivement 10 000 tonnes et 43 000 tonnes et dépassent les ventes de la Chine, qui sont à cette date de 40 000 tonnes. Le prix du thé a tendance à stagner mais les planteurs réduisent le coût en installant des machines et en engageant une main-d'œuvre plus experte.

 

LE THE INDIEN AU XXe SIECLE


Au début du XXe siècle, l'Inde ne consomme encore que moins de 5 % de sa production. Le souci de diversifier les marchés et de ne pas vendre toute la production indienne au Royaume-Uni mène à la création d'un Comité du Thé à Calcutta en 1881.
Lors de l'exposition coloniale de Londres en 1886, une tea room indienne est mise en place par l'Association du thé de l'Inde et l'Association des producteurs, et chaque plantation est invitée à fournir des échantillons pour dégustation par les visiteurs venus du monde entier. En 1993, c'est à l'Exposition de Chicago où un pavillon du Bengale et de l'Assam inclut une riche galerie de thé. Le marché américain des thés indiens et de Ceylan s'étend, mais reste loin des quantités importées de Chine, en particulier parce que les Américains préfèrent les thés verts, qui n'existent qu'en Chine et au Japon.
Les producteurs indiens sont présents à l'Exposition Universelle de Paris de 1900. En 1909, le Comité du Thé indien crée un centre à Anvers pour contrôler la distribution des thés en Belgique et en Allemagne. Des tea rooms sont installés à Berlin, Charlottenburg, Hambourg et Bruxelles. Les résultats restent médiocres.

 

LA NOUVELLE TRADITION DU THE EN INDE


En 1914, l'Inde est le premier fournisseur européen de thé, et de très loin, mais la consommation y est encore faible. Pour les classes supérieures, il s'agit de montrer son appartenance du monde occidental, qui envoie ses enfants dans les universités anglaises et joue au polo et au cricket. Les classes populaires ne boivent pas encore de thé, quant à elles.
Dans les années 1930, malgré les efforts de promotion de la Commission pour l'expansion du marché indien, la consommation reste limitée aux grandes villes, où les gens ont été éduqués à l'anglaise. Avant la seconde guerre mondiale, le thé arrive dans les petites villes par le biais des marchés, des gares et des écoles. Enfin, le thé commence à être consommé en campagne seulement à la fin du vingtième siècle.
En mars 1957, Nehru et son ministre du commerce Shri Morarji Desai refusent la nationalisation du commerce du thé. Ils soutiennent tout de même le développement des ventes aux enchères historiques à Calcutta et Cochin.

 


(c)PhA 2022, sources: https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_thé