LE GOLF


DICTIONNAIRE AMOUREUX DU GOLF
André-Jean Lafaurie
Plon

 

 



GOLF

Golf ne veut rien dire. Mais depuis que l'homme cherche à savoir pour quoi il est sur Terre, ce que se garde bien de faire n'importe quel autre animal, tout doit être justifié. Y compris le mot golf: c'est dire.
On a donc multiplié les hypothèses. L'explication la plus répandue et la plus fausse affirme que GOLF est l'acronyme de Gentlemen Only, Ladies Forbidden. Chaque légende s'appuie sur une part de vérité. Il se trouve qu'on lisait encore à l'entrée de certains club's écossais, au milieu du xxe siècle, un panneau indiquant: «Réservé aux messieurs. Les dames et les chiens sont interdits. » Pour les chiens, l'affaire s arrangea. Mais l 'histoire oublie de préciser qu'en parallèle, presque dès l'origine du jeu, les femmes créèrent leurs propres clubs, interdits aux hommes. Il en existe encore, ne serait-ce que dans la ville-matrice du golf mondial, Saint Andrews, en Ecosse. Pas loin des bâtiments du vénérable Royal & Ancient (lui-même interdit aux femmes jusque dans les années soixante) se dresse le siège du Saint Andrews Ladies Golf Club.
Il est certain que le mot est un dérivé du vieux
germain kolbe, qui signifiait bâton, qu'il s'écrivît jadis« colf», «gaowff», «gaff» ou« kolfe» n'aide pas. Son orthographe fut pendant longtemps colff. Sans doute la dégustation récurrente de lampées de
whisky au bar des club-houses écossais opéra une mutation génétique du larynx des joueurs, adoucissant le guttural colff en glissant golf? Mais est-on certain de ne pas divaguer?
Non, décidément, le mot golf ne veut rien dire. Les Ecossais précisent que, écrit à l'envers, flog, cela ne veut rien dire non plus.


 

 

 

 



GRAND CHELEM

 

C'est dans les vieux grimoires de la fin du XVIIIe siècle qu'on repère l'apparition du mot schlem. La phonétique semble l'apparenter à l'arabe. En vérité, il est la forme francisée de l'anglais siam apparu un siècle plus tôt. Sans doute le mot originel est-il une onomatopée, évoquant le ramassage par un joueur de cartes de toutes les levées du tirage...
sIam! pas de pitié! Le whist et le bridge furent les premiers à inclure le terme dans leur règlement. Le mot désignant un absolu, pourquoi est-il accolé à l'adjectif grand, qui suppose qu'il en existerait des moins grands, voire des tout petits? On ne peut pas être «plus ou moins» absolu. N'empêche, le Grand Chelem est l'expression consacrée sous l'influence américaine, férue d'emphase. En réaction, on aime en France les petits chelems, façon que l'on a de désigner le meilleur, comme un «bon petit vin », un «bon p'tit plat bien d'chez nous ». A l'inverse, l'ex-
pression: «il nous a réussi un bon petit chelem de
derrière les fagots » est littéralement intraduisible en yankee.
Aujourd'hui, tout homme politique qui remporte la totalité des circonscriptions d'une contrée, tout sportif qui gagne la totalité d'une série d'épreuves, tout
musicien qui triomphe dans la totalité des dix plus grandes salles de concert, tout film qui décroche la totalité des trophées d'un festival, a réussi le grand
chelem. Félicitations. Bien entendu, le golf possède lui aussi son Grand Chelem, c'est même l'un des plus anciens qui soient, comme souvent dans cette
discipline séculaire. Son existence présente trois particularités: il n' existe pa~" officiellement, on ne sait pas comment il s'est conStitué, ,if n'a jamais été
réussi.
Aucune association de joueurs, aucune ligue professionnelle, aucun organisateur de circuit, ne désigne dans son calendrier une série d'épreuves constituant un Grand Chelem. Au mieux, les quatre tournois qui le forment sont désignés comme des Majors. Pourtant, plusieurs épreuves sont mieux dotées que ces Majeurs. Elles sont disputées par un nombre plus grand de champions titrés. Elles portent des noms au prestige incomparable, comme championnats du monde. Mais cela ne leur vaut pas le qualificatif de Majeur. Le Masters n'aligne que quatre-vingts joueurs, dont des quasi-vieillards qui l'ont gagné jadis et ont le droit d'y revenir à vie: Ainsi plusieurs champions actuels n'y sont pas invités. L'Open britannique, de son côté, est doté, en équivalence d'euros, de quatre millions et demi de dollars de prix, alors que d'autres épreuves du calendrier offrent plus de sept millions. Mais le Masters... ah! et l'Open britannique. .., tous se damneraient pour l'emporter et

quiconque n'aligne pas au moins une victoire dans le Grand Chelem à la fin de sa carrière ne sera jamais légendaire (pour mémoire, Jack Nicklaus, recordman, en a gagné dix-huit; et Tiger Woods le dépassera).
Pourquoi cette série d'épreuves est-elle devenue plus magique qu'une autre? Le mystère demeure. Décrire ces tournois l'éclaircira peut-être. Et déjà, dire lesquels.
Le Grand Chelem de golf comporte quatre levées.
Dans l'ordre de leur création, il s'agit de l'Open britannique (1860), de l'Open américain (1894), du championnat des Pros (1916) pour simplifier -le titre
étant championnat de la PGA, donc de l'Association des joueurs professionnels -, et du Masters (1934). C'est d'ailleurs celui-ci, le plus récent, qui ouvre la
série mi-avril. Elle s'achève mi-août. Cette brièveté, quatre mois sur une saison de douze, est l'un des paramètres qui éclaire un peu ce mystère du Grand
Chelem. Ce ne fut toutefois que vers la fin des années cinquante, lorsque la dernière épreuve adopta la même formule que les autres, que le concept de
Grand Chelem s'incrusta. Il avait fallu un siècle.
Un Chelem du golf existait auparavant. Il était constitué par les Opens britannique et américain, et les championnats amateurs de ces deux pays, réunissant la quasi-totalité des pratiquants entre les deux guerres mondiales. Il fut réussi, celui-ci. En 1930, le joueur (amateur) Bobby Jones les gagna la même année. Beaucoup estiment que cet Américain, véritable génie, est le plus grand golfeur ayant jamais
existé. Comment vérifier?
Pour amuser la galerie, on a décliné les Chelems. D'abord le Chelem dispersé: gagner les quatre tournois, mais sur plusieurs années. Cinq joueurs seule
ment y sont parvenus (Sarazen, Hogan, Player, Nicklaus, Woods). Cinq en soixante-quinze ans, alors que tous les virtuoses du jeu s'y sont attaqués saison après saison. Et l'on voudrait croire que quelqu'un pourrait emporter les quatre la même année?
Existe aussi le Petit Chelem: gagner trois des quatre tournois à la suite. Deux joueurs seulement (Hogan, Woods) y sont parvenus, à un demi-siècle
d'écart. Et l'on voudrait croire que.. .la même année?
Enfin, le Chelem qui n'a pas de sens: gagner les quatre tournois d'affilée, mais les trois dernières levées d'une saison et la première de la saison suivante. Un seul y est parvenu, 'figer Woods. Il est le premier à nier qu'il s'agit en quoi que ce soit d'un Grand Chelem. Commentateurs, sponsors et manitous du marketing tentent d'imposer cette notion grotesque. C'est ne rien comprendre au golf -et Tiger
Woods le comprend très bien. C'est passer sous silence que s'écoulent huit mois entre l'ultime Majeur d'une saison et le premier de la suivante. Huit mois: colossal ! L'une des forces du Grand Chelem est sa brièveté, sa densité. Qui oserait claironner qu'en rugby, un pays ayant battu quatre équipes du Toumoi des Six Nations à la suite, puis battant la cinquième à l'orée de la saison suivante, aurait réussi le Grand Chelem?
La fulgurance de ces quatre immenses tournois, disputés à quelques semaines les uns des autres, constitue la saveur du Grand Chelem. Il s'agit pour un candidat aux quatre trophées d'être un surhomme quatre fois de suite en quatre mois. Quel système nerveux y résisterait? Voilà pourquoi le Grand Chelem
de golf n'a jamais été réussi. On affirme ici qu'il ne le sera jamais. Quiconque connaît ce jeu juge inconcevable qu'un joueur ayant déjà remporté les trois premiers tournois authentique exploit, réussi seulement deux fois dans l'histoire puisse résister à la pression inhumaine qui l'assaillerait lors du quatrième. Cent quarante autres champions de taille mondiale l'attaqueraient pendant quatre jours, coup après coup. Et il tiendrait bon?
Allons! Tiger Woods, dit-on, le seul qui... Certes, il est un génie. Mais Hogan, Palmer, Nicklaus, Ballesteros, Norman, et quelques prédécesseurs ne l'étaient-ils pas? Pas un n'a réussir le Grand Chelem.
Toutefois, les records étant établis pour être battus, et la saga du sport ne s'alimentant que de premières fois jamais réussies jusqu'alors, patientons.
Le Grand Chelem s'alimente de sa légende, tout seul. Ce n'est pas que ces quatre tournois sont les plus difficiles à remporter, mais ils le sont devenus parce que les joueurs ont indiqué qu'ils l'étaient.
La dernière clé du mystère, la voici. Çhacun des quatre tournois est organisé par une compétence différente. Réunies, elles forment la famille du golf.
L'Open britannique est dirigé par le Royal & Ancient de Saint Andrews, organisme créateur et fédérateur du golf. L'Open américain passe sous les fourches de
la Fédération américaine, autorité gérant le plus grand nombre de pratiquants sur terre. Le championnat de la PGA est le sommet des tournois sous la coupe des
pros et pour les pros, au sein de leur ligue. Enfin le Masters est simplement organisé, mais de a jusqu'à Z, par un club, Augusta. Le club demeure la cellule
de base de toute activité sportive.
Ces quatre organisateurs (un club, une fédération,
une autorité, une ligue) couvrent la totalité des structures de ce sport universel. Chacun a sa grand-messe.
A l'issue de ce rituel en quatre actes, les fidèles sont gavés. Et les champions, exhaussés.


 

 

 

 



GREEN

 

 

L'usage de deux faux mots dénonce le non-golfeur dès sa première phrase. L'un est le verbe golfer. Il n'existe pas.
L'autre est green. Il n'existe plus dans son sens original. Jadis, il est vrai, on nommait ainsi l'ensemble d'un parcours. N'existant qu'en Ecosse sur des bandes incultes de sable, les terrains offraient un aspect vert, en rupture avec l'environnement de grisaille de ces côtes venteuses. Puis le golf occupa peu à peu d'autres terres, des bois et des forêts, des collines joyeuses, où tout était déjà vert. A l'image de son glissement géographique, il opéra un glissement sémantique. On nomme désormais green la seule partie fmale de chaque trou. De même qu'on nommait jadis putting green ce qui est de nos jours un green, l'autre s'est décalé d'un cran aussi, et ne désigne maintenant que la surface d'entraînement qui se trouve près du départ. Sous son aspect naturel, immaculé et reposant, un green est d'une complexité inouïe. C'est un chef-d'œuvre d'agronomie. Sur un fond d'abord décavé, on empile des strates de gravier, de terre, de sables aux diverses rondeurs, de tuyaux et de drains, et parfois des résistances électriques afm d'assurer l'hygrométrie homogène des dix-huit surfaces les plus chères d'un parcours.

Il est d'une fragilité de jeune vierge. Une erreur dans sa construction se paie pour l'éternité. L'évacuation des eaux y devient alors irrégulière, laissant des poches en sous-sol et pourrissant les racines du gazon. La tonte n'y est plus franche et, en certains endroits, la brûlure du soleil anéantit le brin et rend impossible un jeu honnête. y marcher en laissant traîner les clous de ses chaussures le blesse pour des semaines. Ne pas redresser la petite écorchure (un pitch) provoquée par l'arrivée violente de la balle le vérole. S'appuyer sur le manche de son club en attendant que l'adversaire ait terminé le troue. Y jouer au printemps quand il est enfin dégelé le tue, car, sous son épidenne redevenu souple, les racines sont encore raides de froid, et le pas les cisaille.
En somme, il n'y a que faire rouler dessus la balle en direction du trou, tel est l'usage requis, qui ne l'abîme pas. Mais le golfeur, si. L'exercice du putting étant
redoutable, cette fois c'est lui qui sort en charpie.

 

 


 

 

 

 



LUNE

Le 17 février 1971, la capsule Apollo XIV déposa sur la Lune l'astronaute Alan Shepard. Dans la poche de sa combinaison spatiale, il dissimulait un club de golf dont le manche avait été scindé en plusieurs morceaux par les ingénieurs de la NASA. Il le revissa et sortit de son autre poche une balle, qu'il laissa tomber à ses pieds. Shepard se mit en position pour taper un coup. Bon golfeur sur la Terre, mais engoncé dans sa combinaison, gêné par l'énorme casque, il swingua un peu de travers, fouetta la balle. La tête du club passa au-dessus, traversant l'air sans rien toucher. L'histoire du sport interplanétaire débutait par un coup nul, un air shot. Preuve était faite que le golf est plus fort que les golfeurs.

Alan Shepard se remit en position. Cette fois, il toucha la balle, et bien. «Je l'ai vue partir loin, loin ! Elle semblait ne jamais devoir retomber. » Dans l'atmosphère raréfiée et la pesanteur lunaire, la balle alla sept fois plus loin qu'elle eût volé sur Terre. Shepard ni ses compagnons n'allèrent la chercher. Il leur restait quelques menus travaux scientifiques à accomplir, là-haut. Cette balle, seul instrument de sport qui ait jamais quitté la Terre, est toujours sur la Lune.A son retour, Shepard décacheta un télégramme envoyé par le Royal & Ancient Golf Club de Saint Andrews, en Ecosse. Les gardiens sourcilleux du temple, dont les ancêtres codifièrent le jeu il y a deux siècles et demi, le félicitaient. Mais ils ajoutaient : «Etant donné que le sol lunaire est sablonneux, il s'agit donc d'un bunker. Or l'Etiquette exige que l'on ratisse ses marques dans un tel obstacle après y avoir joué. Il ne nous a pas semblé que vous ayez respecté ce précepte. C'est navrant. Ce manquement sera noté dans votre palmarès. »

Le club utilisé sur la Lune est conservé au musée du Golf, à Far Hills dans le New Jersey.

 


 

 


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